Skip to content

Accueil > Education > Education spécialisée > Scolarité de l’adolescent

Scolarité de l’adolescent

Aptitudes cognitives et difficultés psychologiques

vendredi 18 juillet 2014, par Claire Favrot, Elisabeth Lasserre

Ce texte est extrait du recueil des actes des Journées CHARGE 2014, disponible en téléchargement.

Le Centre National de Ressources Robert Laplane est parfois interpellé au sujet de situations de jeunes qui, alors même qu’un premier accompagnement a déjà eu lieu quelques années auparavant pour une aide à la communication, développent de graves difficultés psychologiques. Les problèmes qui se posent lors de cette seconde interpellation diffèrent sensiblement des problématiques de communication et de langage qui se posaient lors de la première demande. Parmi ces jeunes, nombreux sont ceux qui, malgré des aptitudes linguistiques et scolaires qui leur ont permis, grâce à un accompagnement adapté, de réaliser un parcours en école primaire ordinaire ou spécialisée, développent, au collège puis au lycée, des troubles psycho-sociaux, voire psychiatriques. Ceux-ci, s’ils ne sont pas repérés à temps, peuvent sérieusement entraver leur vie relationnelle. Ces situations nécessitent, alors, que se constitue autour de la personne un réseau d’accompagnement extrêmement dense et complexe. Parmi ces jeunes, certains présentent un syndrome CHARGE.

Notre communication, à deux voix, visait à faire état des questions et des tentatives d’interprétations que l’observation et l’accompagnement de ces jeunes avaient pu nous faire évoquer. Nous avons, pour ce faire, présenté les parcours de deux jeunes atteints de syndrome CHARGE suivis par le centre de ressources.

Ces deux jeunes qui bénéficiaient d’excellentes capacités de raisonnement et de conceptualisation sur du matériel visuel avaient tous deux pu passer un bac professionnel et se diriger vers un BTS informatique.
Cependant, malgré cette bonne réussite scolaire, des questions s’étaient très vite posées quant à leur possible insertion dans un milieu professionnel. Tous deux, en effet, présentaient des difficultés psychiques et relationnelles dont les manifestations étaient devenues, au fil des années, de plus en plus problématiques.
Ces troubles s’intriquaient avec une extrême fatigabilité. Ces difficultés étaient cependant reconnues, l’entourage étant très vigilant. Ces jeunes ne se trouvaient donc pas dans une situation critique. Nous avions tout de même voulu présenter leur parcours, afin de mettre en évidence le contraste existant entre leur investissement dans les activités intellectuelles et leur vulnérabilité sur le plan psychique.

Les facteurs susceptibles de favoriser, chez les enfants atteints de syndrome CHARGE, le développement de troubles psychologiques et psycho-sociaux, sont multiples. Au premier plan des facteurs susceptibles d’entraîner des difficultés psychiques se trouvent les atteintes sensorielles et cérébrales elles-mêmes. L’intégration des afférences en provenance des différentes modalités sensorielles est en effet capitale pour que l’enfant se construise une représentation cohérente de lui-même et de son environnement, donc d’autrui et de sa relation avec celui-ci. Or, du fait de l’atteinte multisensorielle (atteintes auditives, visuelles, vestibulaires, olfactives), cette intégration se réalise difficilement et/ou imparfaitement. L’atteinte proprioceptive vestibulaire notamment, surtout si l’aréflexie est complète, peut entraver la mise en cohérence des afférences en provenance des autres modalités sensorielles. Il s’ensuit un certain nombre de troubles qui peuvent toucher aussi bien la représentation du corps propre, la représentation visio-spatiale de l’environnement, la reconnaissance des visages familiers, le décodage des gestes ou des expressions, autant de fonctions très impliquées dans le développement harmonieux de la relation de soi à l’autre et au monde.

Dès le début de la vie, dans la mesure où aucune des modalités sensorielles (proprioceptive, auditive ou visuelle) n’est intègre, l’enfant se trouvera en difficulté pour compenser ses manques. C’est ainsi que le simple fait d’entrer en relation avec son entourage, même avec des moyens non-verbaux, pourra s’avérer très compliqué. Et plus il y aura de modalités sensorielles gravement touchées, plus l’énergie que l’enfant
devra déployer pour compenser ses difficultés sera importante. Cela a un coût attentionnel dont les retombées en termes de fatigue, d’agitation ou de repli sur soi ne sont pas négligeables.

Par la suite, même si l’enfant accède au langage et aux apprentissages, on peut se demander quel est le prix de cette réussite. Le coût, en termes de fatigue et d’isolement, est probablement très important.
L’attachement aux quelques professionnels qui, les premiers, l’accompagnent vers le langage et le guident dans son parcours scolaire, est certainement un facteur déterminant dans sa capacité à surmonter ces écueils. Or cet accompagnement, notamment à l’adolescence, du fait des nécessaires réorientations, est
la plupart du temps rompu. Le possible impact négatif de ces ruptures sur le plan psycho-affectif est à prendre très au sérieux, et ce d’autant que, tout au long de son parcours, l’enfant sera confronté à un environnement de plus en plus complexe (multiplicités des interlocuteurs et des contextes), environnement qu’il aura de plus en plus de mal à décoder. Il ne faut pas oublier en effet que la « compétence relationnelle
et sociale » repose en grande partie sur des compétences extralinguistiques (par exemple la détection et la reconnaissance visuelle rapide des gestes ou des expressions d’autrui, notamment des mouvements de regard), compétences qui peuvent être très sérieusement entravées dans un contexte d’atteintes sensorielles multiples, notamment visuelle et vestibulaire.

De plus, à l’atteinte multisensorielle peuvent s’ajouter des atteintes cérébrales (comme les atteintes cérébelleuses, du tronc cérébral ou les atteintes hippocampiques) qui, elles-aussi, sont susceptibles d’altérer l’intégration poly-neurosensorielle, la représentation spatio-corporelle et la mémoire spatiale, et donc d’avoir une forte incidence sur la relation de l’enfant au monde et sur ses interactions avec autrui. A
l’adolescence, ces troubles, notamment ceux liés à la représentation de son propre corps, pourront être à l’origine de graves troubles psychiques.

Enfin, l’enfant, s’il présente par ailleurs des aptitudes intellectuelles et un bon niveau de langage, sera encouragé par l’entourage à investir la sphère intellectuelle. Il fera alors tout pour être reconnu dans ses compétences : il s’ensuivra une fatigabilité, un coût cognitif et émotionnel très important qui augmenteront à mesure que les attentes se feront plus pressantes. Le désir de bien faire, la peur de l’échec sont très présents chez ces enfants.

Le risque de décompensation pourra alors s’avérer important. Se construire et s’assumer en tant que personne, construire son identité suppose un processus psycho-affectif et social complexe, difficile pour tout un chacun. Il peut l’être encore plus pour quelqu’un qui a un handicap avec lequel il devra se construire, s’accepter dans sa différence. De bonnes aptitudes intellectuelles peuvent aider à ce processus mais peuvent aussi entraîner une conscience de soi plus douloureuse. La prévention et le soutien psychologique nous semblent fortement recommandés en amont des difficultés.

Elisabeth Lasserre - Claire Favrot
Neuropsychologue - Psychiatre, CNRHR R. Laplane - Paris

Répondre à cet article