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L’éducation au choix

samedi 20 septembre 2014, par Cécile Doyon, Sabine Blache

Ce texte est extrait du recueil des actes des Journées CHARGE 2014, disponible en téléchargement.

Présentation du groupe

Nous représentons aujourd’hui le groupe Arc-en-ciel implanté à Valence, dans la Drôme. Ce groupe dépend de l’IME « La Providence » de St Laurent-en-Royans. Il accueille des enfants sourds avec handicaps associés.
L’équipe pluridisciplinaire est composée de

  • une psychologue,
  • une orthoptiste,
  • une psychomotricienne,
  • une monitrice éducatrice,
  • une professeur CAPEJS,
  • une éducatrice spécialisée,
  • un directeur adjoint.

Notre groupe fonctionne en journée et accueille six enfants âgés de cinq à douze ans. Trois d’entre eux sont atteints du syndrome CHARGE dont Tom, un jeune garçon de 12 ans.
C’est de lui dont nous allons vous parler plus particulièrement pour illustrer notre propos de ce jour : l’éducation au choix.

Education au choix : terme à double sens

Ce terme peut être entendu de deux manières.

1- D’un côté, on peut entendre l’éducation au choix comme « approche pédagogique » ou « l’éducation à la carte ». Celle-ci permet d’individualiser, de personnaliser notre accompagnement (en lien avec le projet individualisé d’accompagnement de chaque enfant).

L’observation est un outil précieux dans cette approche car elle permet un ajustement continuel de la prise en charge, en considérant la personne avec ce qu’elle amène, telle qu’elle est. Pour être cohérent, chaque professionnel de l’équipe doit faire partie intégrante de cette démarche.

2- De l’autre coté, on peut entendre l’éducation au choix comme « posture éthique » ou « l’éducation à choisir », ici choisir c’est décider, agir pour sa vie : devenir acteur.
La personne actrice est par conséquent, susceptible d’adhérer mais aussi de s’opposer.

A ce moment là, l’enfant est entendu et notre réponse adaptée. Il ne s’agit en aucun cas de permettre au jeune de choisir uniquement ce qu’il veut mais d’établir un contrat d’échange, une sorte de donnant-donnant dans lequel professionnel et enfant évoluent.

Ces deux définitions, ces deux façons de faire sont pourtant étroitement liées. Nous considérons l’approche pédagogique comme le fondement de l’approche éthique.

En tant qu’éducateurs et enseignants, notre objectif est d’aider l’enfant à grandir. Pour cela, chacune de nous use de méthodes, de moyens différents que nous expérimentons au quotidien et qui dans la relation avec l’enfant ne cessent d’évoluer.
Nous allons simplement ici témoigner de ce que nous faisons, en lien avec les valeurs qui nous animent et avec la sincérité nécessaire pour avoir l’honnêteté de faire transparaître qu’il n’y a pas de recette miracle.

Le chemin est parfois difficile, mais la persévérance et notre collaboration en équipe pluridisciplinaire nous permet de cheminer aux côtés de Tom et des autres enfants.

L’évolution de notre pensée et de notre manière d’agir avec Tom

Tom présente une surdité moyenne, il porte des prothèses qu’il utilise très bien. Il comprend quelques consignes orales. Par contre, il ne s’exprime pas ou peu. A son arrivée au groupe Arc en Ciel, nous lui présentons les signes de la LSF : il les imite avec peu de précision, en comprend quelques uns mais ne s’en saisit pas pour exprimer quoique ce soit (ni demandes, ni envies).
Nous nous sommes donc ensuite dirigées vers un autre moyen de communication : les pictogrammes. Ils ont l’avantage de laisser une trace, de durer, d’être moins éphémères qu’un signe. Au début, Tom n’adhérait pas du tout, il ne semblait pas comprendre l’intérêt de ces « images ». Il continuait à ne manifester aucun désir, tout en répondant docilement à nos demandes.

Nous avons alors cherché « la chose » qui pouvait être source de plaisir chez Tom. En partant de quelque chose qu’il aime, peut-être allions nous parvenir à lui faire comprendre l’intérêt de ces « images » qu’étaient les pictogrammes ?
Le moment du goûter était un moment bien apprécié de Tom. Mais ces goûters prenaient beaucoup de temps. Un jour, nous avons pris en photo les différents aliments prévus au goûter et les avons présentés à Tom dans le but qu’il choisisse ce qu’il voulait manger. Il a pris la photo de la brioche et l’a avalée comme jamais !
Inutile d’ajouter : « allez Tom, il faut manger. ».
Nous avons continué de le laisser choisir sur le temps du goûter, gagnant ainsi beaucoup en rapidité. Le temps consacré au goûter était désormais correct. Après quelques mois, nous avons progressivement retiré cette étape de choix sans que Tom ne perde plaisir à ce moment, ni ne se remette à manger trop lentement.
C’est là que Tom a compris l’intérêt des images à proprement parler, et qu’il a commencé à s’intéresser aux pictogrammes.
Aujourd’hui, c’est ce moyen de communication que nous utilisons avec lui.

Un cahier de pictogramme a été confectionné pour Tom, dans l’objectif qu’il arrive à faire des demandes.
Il s’agit d’un carnet dans lequel sont scratchés les différents pictogrammes travaillés au préalable. Quand ils sont dans le cahier c’est que Tom les comprend. Sur la couverture se trouve une bande de scratch sur laquelle il doit placer le pictogramme qui représente ce qu’il souhaite.
Rapidement, il a compris ce que nous attendions de lui. Il plaçait sans problème le pictogramme sur la couverture. Sauf que notre consigne n’était pas complète, c’est-à-dire nous avions omis de dire à Tom qu’une demande s’adresse à quelqu’un.
Pour lui, peu importe que nous ayons vu sa demande ou pas, le pictogramme étant posé sur la couverture, il se servait et faisait l’activité qu’il voulait.
Dans un premier temps, nous avons légèrement modifié la demande faite à Tom. Nous pensions que le problème venait du fait que nous n’avions pas vu sa demande. Donc, très logiquement (pour nous), nous avons placé une affiche avec une bande de scratch bien en vue au milieu de la pièce sur une armoire pour ne rater aucune demande… Bien que Tom ait réussit à s’adapter à cette nouvelle consigne, le même problème s’est posé quand nous n’étions pas dans la même pièce que lui… Il scratchait, et faisait.

D’où venait le problème ? Après un certain temps de réflexion, nous avons compris que le problème venait du fait qu’il ne sait pas interpeller son interlocuteur, il n’adresse pas sa demande.

Comment le faire s’adresser à nous ? Une chose apparaissait évidente, le scratch devait être sur nous.
Nous avons alors confectionné des bracelets pour tous les intervenants du groupe. Dans le même temps, le nombre de pictogramme compris par Tom augmentant, nous sommes passés à un système d’aimant pour l’accroche. Tom devait venir placer le pictogramme dessus.

Ceci étant nouveau et difficile pour lui, un premier temps de guidage a été nécessaire. C’est-à-dire que dès que l’une d’entre nous le voyait se saisir d’un pictogramme, elle le guidait physiquement vers une autre personne, et l’aidait à aimanter le pictogramme. À ce moment là seulement, Tom a compris qu’il devait y avoir une réponse de notre part
avant qu’il puisse se lancer dans son activité.
Peu à peu ; il est arrivé à le faire sans aide.
Après de longs mois de pratique, nous sommes aujourd’hui passés à l’étape suivante, qui est : adresser sa demande directement dans la main de l’interlocuteur. Pour le moment, il a encore besoin de guidage, mais il avance.
Dans cet exemple, on voit bien combien il est long et fastidieux de procéder par essais/erreurs, même si, selon nous, c’est la seule voie possible. Chaque étape de la progression fait survenir de nouveaux problèmes. L’observation est un élément fondateur pour cheminer. En effet, c’est en fonction de ce que l’enfant nous montre que nous adaptons nos outils, nos réponses.

Au final, construire un outil ce n’est pas si difficile concrètement, il faut du scotch, du carton, des feutres, du scratch et un peu de temps, ce qui est important c’est qu’il réponde à un besoin.
Un outil peut avoir plusieurs fonctions : informer, s’exprimer, anticiper, programmer…

Mais, un outil c’est aussi très frustrant, il peut devenir inadapté rapidement. Il faut alors dans ce cas, savoir le remettre en question (mais aussi se remettre en question), le faire évoluer ou le remplacer. C’est là que la notion de cohérence prend tout son sens, car l’utilisation qu’on fait de l’outil est primordiale.
En effet, elle doit être la même pour tout le monde (professionnels et entourage de l’enfant), il faut savoir écouter les remarques de chacun et agir ensemble. Car, la limite de l’outil ne se fait ressentir qu’en situation (et pas quand on le crée).

L’éducation à choisir en classe ?

Quand on regarde en arrière, on se rend compte qu’avec Tom, notre réflexe premier fut de remplir notre mission d’éducation, de lui apprendre des choses, des savoirs. En classe, par exemple, les programmes prévoient des savoirs et des savoirs faire à acquérir et en tant qu’enseignante je me suis mise au travail avec Tom. Il s’avère que malgré toute la bonne volonté du monde, nous n’avancions que très lentement.
Malgré l’usage des pictogrammes, Tom pleurait beaucoup, refusait de faire, se frappait fortement le menton. De mon coté, je m’interrogeais : était-ce un refus de coopérer ou de l’incompréhension face à ce que je lui demandais ?
Il était évident que nous devions trouver une solution pour réussir à avancer ensemble. Le temps passait, la situation n’évoluait pas. J’ai essayé beaucoup de choses : ne faire que des activités sur l’ordinateur (comme il aimait ça), le prendre seul en activité, ne faire que des maths (il préfère les chiffres), rester près de lui, arrêter de travailler sur feuille (goût pour la manipulation). Rien n’améliorait vraiment la situation.
J’en suis arrivée à douter de sa place en classe.

Un jour de découragement, j’ai laissé tous les pictogrammes sur la table. Tom s’est saisi de l’un d’entre eux, et j’ai sauté sur l’occasion : « ah, c’est ce que tu veux faire aujourd’hui ? » alors que je n’avais aucune idée de son intention réelle. Il s’agissait d’écriture. Je lui ai donc dit : « d’accord Tom, on écrit ! ».
A ma plus grande stupéfaction Tom a écrit sans rechigner…
Ce que j’en ai compris c’est que Tom venait de faire un choix. C’est ainsi que j’ai mis en place cette éducation à choisir au sein même de la classe. A partir de là, Tom arrivait en classe, les pictogrammes des activités possibles étaient placés devant lui, et il choisissait ce qu’il voulait faire. Il en tirait beaucoup de satisfaction et moi aussi !
Après quelques temps, je lui ai fait choisir l’ordre des activités parmi celles que je lui proposais. Il continuait à les faire avec enthousiasme.

Aujourd’hui, je peux simplement l’informer de ce qu’il va faire en classe, et son comportement reste adapté. Tom progresse.

L’éducation à choisir au quotidien

Au quotidien, il nous semble important de donner le choix à l’enfant dès qu’on le peut et de lui laisser la possibilité de donner son avis. Le choix de dire oui ou de dire non, d’accepter ou de refuser. La dérive à ne pas le faire serait d’enfermer l’enfant dans ce qu’on pense de lui.
Par exemple : Tom n’aime pas assaisonner ses aliments (pas de sucre dans son yaourt, pas de sauce dans sa salade, pas de sel sur ses frites…). Il refuse systématiquement tout assaisonnement en écartant notre main. Malgré tout, nous continuons à lui proposer, jusqu’au jour où, après 4 ans de refus, il a accepté
du vinaigre balsamique dans sa salade (en accompagnant très clairement la main de l’éducatrice qui en versait dans son assiette).

Si nous étions restées sur ce refus, en le mettant dans la case « on ne lui propose
pas de toutes façons il n’en veut jamais » nous aurions raté cette opportunité de le voir dire oui, cette opportunité de changer, de choisir.

Les repas, ont longtemps été problématiques avec Tom. Il mettait de plus en plus de temps à manger, puis il s’est mis à refuser complètement de manger. Dans un premier temps, nous avons décidé de l’informer par des photos de ce qu’il allait manger.
C’était sous la forme d’une frise avec une flèche qui descendait au fur et à mesure du repas. Nous avions imaginé que son refus venait du fait qu’il ne savait jamais quand le repas allait s’arrêter.

Ceci a marché un moment, puis nous avons observé à nouveau le même comportement problématique.

Là encore, l’éducation à choisir nous a permis d’avancer.
Nous mettions en place la frise avec lui, et un jour Tom s’est saisi des photos pour en inverser l’ordre. Il a ensuite mangé sans prendre trop de temps et sans colère. On n’a pas hésité longtemps, nous l’avons laissé placer l’ordre des aliments. Qu’importe s’il voulait manger sa compote en premier tant qu’il mangeait tout au final.
Aujourd’hui, il place l’ordre qu’il souhaite mais il n’intervient que pour modifier l’ordre entre les féculents, les légumes et la viande. On peut dire qu’il a compris que l’entrée est au début et le dessert à la fin.

Conclusion

En ce qui concerne Tom, nous remarquons une nette adhésion de sa part aux activités scolaires et éducatives depuis la mise en place de l’éducation à choisir. Nous lui permettons d’exprimer son avis, de choisir et de ce fait, ses comportements inadaptés tels que se taper ou pleurer ont nettement diminué.
Il sourit, nous regarde, est beaucoup plus actif et prend même des initiatives.
En général, il convient de rappeler que tout ceci est possible grâce à une équipe pluridisciplinaire formée, une action en cohérence entre les collègues et les familles, et surtout d’une envie d’agir dans l’intérêt de l’enfant. On peut aussi remercier le CRESAM qui nous rend visite régulièrement et nous aide à avancer, en nous encourageant.

Le plus important c’est de continuer d’y croire malgré le temps qui passe : croire en
leur potentiel, leurs capacités à changer, à nous surprendre.

Cécile Doyon
Professeur CAPEJS
Sabine Blache
Educatrice Spécialisée Association La Providence - Saint-Laurent-en-Royans

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