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Ce texte est extrait du compte-rendu de la Troisième Journée Nationale sur le SYNDROME DE C.H.A.R.G.E. (POITIERS, 11 MAI 1999)
Les anomalies vestibulaires
Intervention du Véronique ABADIE, Pédiatre
samedi 11 mai 2013, par
Les données nouvelles concernant l’atteinte vestibulaire
Depuis plusieurs années, l’existence d’anomalies de l’oreille externe, moyenne et d’une hypoacousie laissaient suspecter une anomalie plus complète de l’oreille interne chez les enfants atteints de syndrome de CHARGE.
Les premières descriptions d’anomalie du labyrinthe ont été faites sur des autopsies en attendant que les techniques radiologiques permettent d’élargir la pratique du scanner des rochers. Depuis peu, l’atteinte vestibulaire prend une importance majeure chez les enfants atteints d’association CHARGE. C’est pourquoi, je souhaitais d’une part présenter les résultats d’une étude portant sur 17 enfants ayant bénéficié d’explorations vestibulaires complètes et d’autre part évoquer les conséquences sur la prise en charge rééducative de ces troubles de l’équilibre.
Il faut rappeler brièvement que l’équilibre et les étapes de verticalisation de l’enfant sont le fruit de la maturation conjointe de l’organe de l’équilibre dans l’oreille interne, de la vision et de la proprioception, c’est-à-dire de la perception mécanique que nous apportent nos récepteurs cutanés et musculo-articulaires vis-à-vis de l’environnement.
Le cervelet a également un rôle mais il mature plus tard chez l’enfant.
Bien entendu, les fonctions cognitives et musculaires sont également indispensables mais n’ont pas de rôle direct sur l’équilibre.
Il faut rappeler ensuite que dans l’oreille interne, il existe d’une part les canaux semi-circulaires qui sont visibles au scanner et qui sont responsables de la sensation de rotation de la tête dans les trois plans de l’espace et d’autre part le sacule et l’utricule, qui ne sont pas visibles au scanner, et qui sont responsables des sensations de translation, c’est-à-dire de mobilité rectiligne dans le sens horizontal et vertical et de perception de la verticalité de notre axe de la tête " : fil à plomb".
Nous avons observé de façon très constante chez les enfants CHARGE des procédures posturo-motrices qui ne sont pas fréquentes chez les enfants atteints de retard moteur d’origine neurologique ou purement visuelle ou auditive. On peut donc suspecter que ces schémas moteurs anormaux sont principalement secondaires aux anomalies vestibulaires des enfants.
Il s’agit des points suivants :
L’existence d’une hypotonie majeure dans les premiers mois de vie contrastant avec un tonus normal après l’acquisition de la marche
Une appréhension franche à la position assise avec une mauvaise utilisation des bras pour prévenir les chutes en avant ou latérales en position de "parachute".
Une appréhension à la position ventrale avec un mauvais relevé du tronc sur les avant-bras et les mains, contrastant avec une prédilection pour la position couchée sur le dos.
Les premiers déplacements s’effectuent en général par ramper sur le dos, qui reste longtemps le moyen de déplacement privilégié.
Le "4 pattes" est difficile, aidé si l’enfant pose le front par terre.
Les enfants ont en revanche une facilité à tenir debout lorsqu’ils sont aidés d’un support manuel ou à se déplacer sur un camion porteur lorsqu’ils ont les pieds au sol et les mains sur le guidon.
Un délai important entre la tenue debout et la marche ainsi qu’un délai important entre la marche autonome dans un lieu familier sur un sol régulier et la marche à l’extérieur surtout sur un sol accidenté.
Une procédure de changement de position lors de la marche se faisant, la nuque restant dans l’axe du corps donnant un aspect figé aux rotations.
Des chutes fréquentes.
De grosses difficultés à faire de la bicyclette sans appuis latéraux ou à monter à cheval sans étriers.
Tous ces signes sont bien sûr variables d’un enfant à l’autre mais assez constamment retrouvés. Ils sont transitoires et ne semblent pas avoir de valeur pronostique pour le développement intellectuel ultérieur.
Les étapes de verticalisation c’est-à-dire de tenue stable de la tête, de tenue stable assis, debout avec et sans support, de marche autonome à l’intérieur et à l’extérieur ainsi que la course sans chute ont été évaluées en mois dans le groupe des 17 enfants. Les résultats montrent des différences importantes d’un enfant à l’autre mais une moyenne de résultats dont le quotient est autour de 50 par rapport au développement normal. L’acquisition de la marche notamment n’a jamais été possible avant 18 mois et peut l’être jusqu’à 52 mois.
Ce retard "obligatoire" des étapes de verticalisation semble en grande partie lié à l’absence de canaux semi-circulaires.
En effet, l’analyse des scanners des rochers a montré dans tous les cas, sauf une, absence ou une réduction massive bilatérale des canaux semi-circulaires. Lorsqu’on l’analyse, les étapes développementales de la seule enfant dont les canaux semi-circulaires sont normaux, on constate un bénéfice net pour les étapes qui succèdent à la tenue debout sans appui alors que les premières étapes développementales de cette enfant sont moins rapides que la moyenne.
Les résultats radiologiques montrent la grande constance des anomalies des canaux semi-circulaires (94%). Ce signe radiologique est assez spécifique de l’association CHARGE, cette anomalie est en effet rare dans d’autres syndromes malformatifs de l’enfant. Ces anomalies des canaux semi-circulaires constituent donc un bon élément diagnostique du syndrome de CHARGE au même titre que les signes dits "majeurs" définis par l’acronyme.
Les principes et les intérêts de la vestibulométrie sont précisément expliqués par le Docteur WIENER VACHER.
En résumé de nos résultats, nous montrons que tous les enfants ont des anomalies vestibulaires lorsqu’ils sont investigués par la vestibulométrie :
- Des canaux semi-circulaires normaux au scanner n’excluent pas la possibilité d’anomalie fonctionnelle de cet organe. Par ailleurs, la vestibulométrie est le seul examen susceptible d’évaluer la fonction des otolithes situés dans l’utricule et le sacule.
- 94 % des enfants de cette série ont des fonctions otolithiques résiduelles présentes et même dans 2 cas elles sont strictement normales. Il existe un bénéfice à avoir des fonctions otolithiques résiduelles. En effet, le groupe des enfants à bonnes fonctions otolithiques avait de meilleurs délais de verticalisation que ceux dont les fonctions otolithiques n’étaient pas bonnes.
Ces notions sont surtout essentielles pour la rééducation des enfants. D’une part, elles permettent de comprendre les schémas moteurs qu’empruntent les enfants atteints d’associant CHARGE. Ceux-ci ne doivent en effet pas être confondus avec les anomalies motrices des enfants qui ont des retards d’origine corticale. Ainsi, le rejeté en arrière ou la prédilection pour la position couchée ne doivent pas être considérés comme un facteur péjoratif.
Les fonctions otolithiques résiduelles peuvent être utilisées pour des jeux de stimulation des translations.
Enfin, il faut comprendre que les canaux semi-circulaires absents ou très anormaux ne se rééduquent pas mais que l’équilibre s’acquiert par compensation des autres organes utiles, soit le soutien visuel et la stimulation proprioceptive.
La rééducation doit donc par exemple s’effectuer pieds nus, en appui plantaire, comporter beaucoup d’exercices de ramper, de grimpage qui permet à l’enfant d’appréhender l’espace avec toutes les parties de son corps.
Tous les exercices visant à faire prendre conscience à l’enfant du poids de son corps sur les articulations de ses membres inférieurs sont importants. De ce point de vue, le "youpalah" n’est pas une aide.
Enfin, un soutien visuel lors des exercices kinésithérapeutiques et l’organisation de l’espace en marquant les verticales et les horizontales par des dessins contrastés facilement visibles sont utiles. De ce point de vue, le déficit visuel des enfants ne doit pas être surestimé. En effet, la vision périphérique, le plus souvent conservée, est probablement la plus utile à la compensation du déficit vestibulaire, il faut soutenir vivement cette vision, même s’il y a des doutes sur sa qualité.
P.-S.
Ce texte a été publié dans le numéro 3 du bulletin de l’association.